Pierrot et Lucette sont assis sur des pliants de camping au bord de la route qui sinue en suivant le cours de l’Aubois.
Sur les berges de cette petite rivière Berrichonne, deux pêcheurs à la ligne somnolent allongés dans l’herbe. C’est la fin du mois de mai, les premières abeilles fredonnent en faisant des allers et venues sur les fleurs. Des martin-pêcheurs happent en un éclair bleu acier les éphémères dansant à la surface du cours d’eau. Le silence est à peine troublé par les vaches qui broutent dans le champ voisin.
Ces vaches attendent aussi.
Un voisin pêcheur allume une radio à transistors. Un petit air d’accordéon nostalgique s’envole et Bourvil qui se demande comment se nomme « ce petit bal perdu », sans arrêt, car il lui rappelle, dit la chansonnette, le bonheur au milieu des gravats juste après la guerre.
« Les vaches aussi s’appelaient ! »
Pierrot s’est rapproché de Lucette, il la serre contre lui.
Se souvient-elle de « notre petit bal perdu où l’on s’est connu, nous avons dansé sur cette chanson ».
« Nous nous sommes embrassés sur les quelques notes de guitare égrenées à la fin » se souvient Lucette émue.
Pierrot- « nous étions insouciants, on a bu dans le même verre ».
Et Lucette- « on a tourné, tourné, les yeux dans les yeux, comme dans la chanson ».
« Quelle importance le nom du bal perdu, la nuit fût merveilleuse, pleine de lumière, et c’était bien. »
Dans le poste de radio, l’accordéoniste replie le soufflet de son instrument.
Le silence attend.
Soudain, des hauts parleurs vocifèrent au loin une autre chanson à la mode : « Les jolies colonies de vacances, merci papa, merci maman … » La ritournelle arrive dans une camionnette bariolée, bientôt suivie par d’autres autos rutilantes, décorées de réclames pour du saucisson, de l’apéritif, des boyaux pour les vélos. Les voitures ralentissent, pour distribuer des casquettes, des fanions, et des bonbons multicolores, et aussi un peu de poussière.
Le silence de nouveau, puis Lucette crie. « Les voilà, regarde y’a Fouché, Giménez, Bond et Taylor sont devant… »
En trente secondes, le silence retombe sur la campagne.
Lucette a les joues comme une pomme d’amour, Pierrot rêvasse encore au petit bal perdu, à l’insouciance. Lucette prend Pierrot par la main. Après avoir replié les sièges bleu et rouge, elle lui claque une bise sur la joue. « T’es content mon Pierrot. » Pierrot sourit béatement et plonge ses yeux dans ceux de Lucette. Il la serre contre lui tendrement.
Une petite chanson trotte encore dans sa tête.