Un monstre.
L’être était déjà là lorsque j’ai pénétré dans l’établissement connu pour servir une excellente bière brassée sur place. Après avoir commandé, je me suis installé devant une table face à un grand miroir. Et instantanément dans la glace, je l’ai remarqué dans le coin le plus reculé de la salle, le plus sombre. De ma place, je me suis demandé si Cela était un être vivant ou une représentation du bizarre. Je vis aussi que les clients avaient déserté les quatre tables proches, redoutant sans doute cette présence étrange et inquiétante.
Un chapeau noir comme en portent les israélites à larges bords et orné d’un ruban bleu foncé défraîchi, reposait sur sa tête. Un foulard brun entourait son crane à la manière des œufs de Pâque et cachait les oreilles. Une autre étoffe foncée masquait le bas de son visage. Un manteau toujours sombre de couleur enfermait ce que je voyais d’un corps maigre et sans doute longiligne. Deux mains gantées reposaient sur la table du bistrot, de part et d’autre d’une carafe aux reflets irisés et d’un verre remplit d’une liqueur opalescente. Je songeais à de l’anisette.
Dans les gants, les mains paraissaient d’une maigreur extrême. Je ne voyais pas le bas du corps de comment, dirai-je, de l’homme, de l’être, de la forme, de l’humanoïde, car je n’en voyais que très peu. Cela me troublait, me perturbait.
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- Auteur : Christian
Cassandre de Vermenou marche le long du canal silencieux. Aux environs de Corbigny, elle a rejoint des amis dans une propriété qui jouxte le canal du Nivernais.
Madame de Vermenou avance doucement sur le chemin de halage. Elle est perdue dans ses pensées. Elle parait énervée, indignée et même un peu furieuse.
« Ils ne me croient jamais. » Se répète-elle !
La touffeur de l’après-midi et son état lui rougissent les pommettes. C’est l’été !
***
Au loin, une péniche approche lentement sur l’eau verte entre les berges étroites du canal.
***
Au déjeuner, Cassandre de Vermenou a raconté à ses amis cette aventure qu’elle vient de vivre à Deauville avant de quitter la Normandie pour les rejoindre.
Elle a rencontré un homme qui ressemble comme deux gouttes d’eau au baron Charlus.
Même prestance, même physionomie, même ton de voix. Une chose pourtant diffère de la lecture adolescente de Madame de Vermenou : son accoutrement. Le baron a enfilé un jean, passé un tee-shirt immaculé de basketteur qui lui tombe à mi-cuisse. Il a coiffé une casquette rouge de rappeur, la visière sur le côté. Il a le teint hâlé d’un homme qui passe son temps à musarder le nez au vent. Et il a l’air insouciant, presque indolent. Sous son nez, une moustache frise. Ses yeux ! Se souvient Cassandre ! Des yeux aux éclats d’émeraude. Des yeux qui ensorcèlent !
L’assemblée réunie au déjeuner s’est esclaffée. Des regards convenus se sont échangés. Les coudes ont joué.
« Vous ne me croyez jamais et pourtant… » a laissé tomber Cassandre.
Furibonde, elle a jeté sa serviette brodée dans son bol de fraises à la crème et s’est éloignée à vives enjambées vers le canal tandis qu’un ange, incrédule, passait !
***
La péniche s’est rapprochée. Elle lance un léger petit coup de trompe dans l’air chaud de l’après-midi.
Cassandre sort de sa rêverie.
Les flancs du chaland fendent l’eau calme du canal. « Pégase » est peint en lettres d’or sur les deux côtés de la proue.
Cassandre s’immobilise pour regarder l’esquif avancer. D’où elle est, Cassandre voit que les panneaux de la cale sont ouverts. Le bateau ralentit. De l’intérieur de la péniche monte une clameur. Sur la berge, Cassandre se fige surprise. Des entrailles béantes sortent des diables, des marquises, des soldats en tenues d’apparat, des créatures en haillons, des boulangers enfarinés, des êtres à tête de cerf, un homme avec un long cou de girafe, des satires martelant le pont de leurs sabots, une fée envoyant des étoiles étincelantes avec sa baguette lumineuse. Un loup affiche un sourire aux dents aiguisées, et un chaperon rouge le suit, accompagné de chérubins décochant des flèches multicolores. Les clameurs se poursuivent, la danse est effrénée.
Cassandre a sorti un petit appareil à photos instantanées. Elle immortalise cette scène incroyable.
Les créatures tournoient, sautent, s’enlacent.
La longue péniche s’éloigne doucement. L’ombre de la cale avale ce fantastique équipage.
Cassandre de Vermenou reste longtemps bouche bée, suivant les remous qui se forment à la poupe du bateau. Il finit par disparaître dans une courbe, happé par les arbres plantés en bordure du chemin de halage.
***
Cassandre de Vermenou, troublée, vacillante, poursuit sa promenade. Le temps file comme les rides sur l’eau. La fraicheur du soir effleure le visage de Cassandre. Il est temps ; elle rebrousse chemin.
Le soleil a gagné le ponant, et pique les peupliers de petites étoiles orangées. Cassandre regagne la demeure où elle séjourne avec des amis.
***
Devant la maison, dans le jardin, la table est dressée pour le diner ; des bougies sont allumées dans des photophores disposés sur une nappe blanche. Leurs lumières tremblotantes indiquent à Cassandre le chemin à suivre.
Elle se sent légère. Elle est guillerette, enjouée. Son trouble a disparu. Elle se prépare à raconter à ses amis son aventure de l’après-midi.
Ils ne la croiront pas, personne ne prête jamais de crédit à ses histoires fantasques.
On ne peut pas la croire, elle, Cassandre de Vermenou dont l’apparence, l’allure ne cesse de surprendre et d’amuser.
Est-elle « vraie » d’ailleurs avec ses tenues vaporeuses, son fin profil, son teint frais, son allure insouciante, elle, Cassandre de Vermenou, qui semble sortir tout droit d’un pastel du dix-huitième siècle.
Mais ce soir, ses amis la croiront car…
Elle sort de sa poche un petit rectangle de carton blanc et montre à ses amis la face de l’instantané ; noire et vide !
Pas croyable !
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- Auteur : Christian
Je l'ai acheté au Marché aux Puces mais il m'a fallu m'y rendre plusieurs fois avant de découvrir celui qui ferait l'affaire. Bien arrondi à l'arrière, les cavités nettement marquées, le profil intéressant, les dents alignées et encore belles comme pour un sourire « Colgate » - disait-on à l'époque -. Oui ce crâne de mort, loin de provoquer mon horreur ou ma répulsion, me plaisait : j'ai toujours eu envie d'en dessiner un, en en faisant ressortir les ombres et les lumières, les demi-teintes et, peut-être, la spiritualité qui lui est encore attachée.
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- Auteur : Eliane
La Damospa !
Alors que je marche d'un bon pas pour aller à l'Atelier d'Ecriture, je m'arrête avant de traverser le pont sur l'Arve : je contemple le flot gris laiteux, charriant des rameaux arrachés hier par le vent tempétueux ; ils se bloquent parfois contre les rives ou sur une colline subaquatique, provoquant des tourbillons, Le circuit des colverts et autres canards sédentaires s'en trouve compliqué mais ce parcours différent n'est pas pour leur déplaire, c'est un peu de fantaisie dans leurs déplacements routiniers...
Près de moi, une dame un peu rondelette s'est aussi accoudée au parapet et regarde, je suppose, le spectacle de l'eau.
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- Auteur : Eliane