Couchée dans son lit, Martine n'a plus la force de se lever. Les soignants de cette unité de soins palliatifs l'aident du mieux qu'ils peuvent. Ce service se situe au dernier étage du nouvel hôpital intercommunal de Haute-Savoie.

Martine y est entrée deux semaines plus tôt atteinte d'un cancer de l'utérus en phase terminale. Plus faible de jour en jour, elle est consciente de vivre ses derniers instants, seule.


Brouillée avec sa sœur depuis quinze ans, ses parents décédés, elle n'a ni mari ni enfant. Seul son travail a compté plus que tout, et dans ce lit, elle prend la mesure du vide qui comble son existence. Ses rapports superficiels avec ses collègues de travail, son isolement social, sa misère affective, viennent la gifler de toute leur puissance.
Ce n'est pas ça la vie. J'ai fui, j'ai masqué, j'ai menti et au final je n'ai pas vécu. Linéaire. Une vie plate et sans soubresaut. Sans émotion, sans amour.
A présent elle comprend qu'elle a fait les mauvais choix. Martine se résigne à l'imminence de sa mort. Il est temps de changer d'air même si c'est l'air de rien, du néant. Il est temps de s'aventurer enfin vers l'inconnu, la peur, l'émotion. Temps de franchir le cap.
Martine se laisse aller. S'évade alors son âme. Elle flotte d'abord au-dessus de son corps malade, puis s'éloigne, sort de l'hôpital, s'envole dans les airs. Elle admire le paysage, un resplendissant soleil du mois de mai illumine la ville, la nature, le paysage. Elle est légère, ses douleurs ont disparu. C'est la ville où elle a toujours vécu, pourtant, elle la découvre pour la première fois vu d'en haut. Elle peut se rendre où elle veut. D'abord à son appartement, elle ne ressent rien, le trouve blafard. Puis elle s'en va visiter les parcs, les jardins fleuris, suit la rivière, contourne le lac...

- Elle respire ? demande une soignante.
- A peine. C'est imperceptible, répond la psychologue qui tient la main de Martine depuis un quart d'heure et la contemple en silence. Une présence c'est si important dans ces moments-là, je vais rester encore un peu auprès d'elle.

Pendant ce temps Martine continue son voyage, elle se libère de plus en plus de toute pensée. Il ne reste que les sensations, chaleur, douceur, le sentiment de ne plus se sentir seule. Elle est sereine. Elle s'envole toujours plus loin, enfin dépaysée, libre et heureuse.

- Au revoir Martine, lui murmure la psychologue après qu'elle ait rendu son dernier soupir.