C’est ici que j’ai décidé de livrer le plus grand combat de ma vie. J’ai loué cette petite maison au bord d’un petit lac entouré de verdure dans le sud où la chaleur pourra me réchauffer le cœur et le corps.
Hier matin j’ai quitté tout ce qui me rattachait à ma vie d’avant. Mon mari, mes enfants, mon travail et mon foyer.

J’ai emmené avec moi quelques objets et des photos pour ne pas oublier totalement qui je suis et d’où je viens. Evidement, il y a une photo de ma mère et de mon père, ils ont livrés, il y a maintenant quelques années, ce même combat, qu’ils ont malheureusement perdu. Quand je pense à eux, j’ai les yeux qui brûlent et mon cœur qui se sert. Ils me manquent énormément. Malgré la douleur figée sur leur visage et leur corps affaibli par la maladie, malgré cette souffrance d’être impuissant, le sentiment qui reste gravé en moi c’est l’amour. Les moments partagés avec eux au crépuscule de leur vie ont été remplis de bienveillance, de respect, de tendresse, d’attention et de douceur. Difficile à accepter, mais sans la maladie jamais nous n’aurions partagé des instants avec autant d’intensité. C’est cela que je retiens de ces photos que j’ai accrochées partout dans cette petite maison qui est devenu la mienne pour un temps.

Sophie, ma meilleure amie, m’a accompagnée comme une guerrière. Elle n’a pas pu se résoudre à me laisser seule face à ma détresse. Vous pouvez penser ce que vous voudrez, effectivement quoi de mieux que d’être accompagnée par ses proches dans des moments comme ceux que je m’apprête à vivre. En ce qui me concerne, j’ai depuis des années l’impression que mon entourage me grignote petit à petit. Ils puisent en moi l’énergie qu’ils ont besoin pour avancer et me laisse sans un regret sur le carreau. Ils ne leurs est jamais venu à l’idée que la source n’était pas intarissable et que la montagne que j’étais pouvait un jour s’effondrer.

Aujourd’hui je suis ici, là et maintenant avec mon corps meurtri, rongé par une maladie dont je connais que trop bien les ravages qu’elle peut faire. Toute mon attention doit se focaliser sur le combat que je dois mener et gagner. Car il n’est pas question que je la laisse s’immiscer dans mes entrailles et prendre possession de mon corps comme bon lui semble.

Cet endroit que j’ai trouvé sera mon havre, ma bulle qui me protégera de toute distraction extérieure. J’attends des arbres leur énergie pour m’aider à combattre, de l’eau le calme qui tempérera mes humeurs, du soleil la chaleur qui réchauffera mon âme, des fleurs l’odeur qui couvrira celle de la maladie et des oiseaux leurs mélodies pour égayer mes journées. Sophie m’apportera l’amour et le réconfort que j’aurai besoin.

Assise confortablement dans un grand fauteuil, j’observe le paysage qui m’apaise. Je porte à mon cou le collier que ma fille ‘m’a glissé dans la main avant que je m’en aille. Je le caresse de mes doigts en espérant que je la reverrai bientôt. Je n’ai pas de rancœur ni de colère envers mes proches. J’ai essayé de leur expliquer du mieux que j’ai pu les raisons pour lesquels je devais faire se chemin seule. Je ne voulais prendre aucun risque, une guerre ça se réfléchit, se prépare, on met en place une stratégie. C’est ce que j’ai fait, au détriment de ma famille peut être, mais quelque part si tout se passe comme je l’ai prévu, ils me retrouveront. La façon dont je leur ai annoncé ma maladie et mon départ est discutable, je vous l’accorde. A force d’être trop occupé par leurs petites vies, ils n’ont pas vu la perte de poids, ni la fatigue toujours plus pesante et présente. Ils n’ont pas porté d’intérêt à la fréquence des rendez-vous de médecin et les examens dont je faisais l’objet.

Allez, allez, encore cette carte posée sur la table que je désire leur faire parvenir. Trouver les mots pour leur dire que je les aime , qu’ils sont toute ma vie avant que le poison ne coule dans mes veines et dépose une brume dans mon cerveau et sur mes souvenirs.

Sophie dort dans le hamac près de l’Olivier. Sa respiration régulière me rassure. Je ferme l’enveloppe. Maintenant je suis prête.

Plume / 09.12.2017

Ce matin je me suis réveillée dans ce fauteuil, avachie sur l'accoudoir, la nuque douloureuse car ma tête pendait dans le vide. Le vide, c'était l'état de mon cerveau hier soir. Comme je n'avais plus envie de poser pour mon colocataire d'atelier, que je n'avais pas le courage de le lui dire, j'ai commencé par un verre de vin, puis un deuxième, un troisième verre pour oublier ma lâcheté. Tiens, au fait, elle est où cette bouteille, je me rincerais bien la bouche, je me sens barbouillée, trop bu hier soir.