Ce matin je me suis réveillée dans ce fauteuil, avachie sur l'accoudoir, la nuque douloureuse car ma tête pendait dans le vide. Le vide, c'était l'état de mon cerveau hier soir. Comme je n'avais plus envie de poser pour mon colocataire d'atelier, que je n'avais pas le courage de le lui dire, j'ai commencé par un verre de vin, puis un deuxième, un troisième verre pour oublier ma lâcheté. Tiens, au fait, elle est où cette bouteille, je me rincerais bien la bouche, je me sens barbouillée, trop bu hier soir.

Ouai, je suis barbouillée et mon coloc est un barbouilleur, aucun talent, docile avec les profs et des parents qui ont de l'argent.

De l'argent, c'est ce qu'il me faudrait pour le mettre dehors et retrouver mon équilibre seule dans cet atelier. Je peux toujours rêver, j'attends pas la célébrité, juste la reconnaissance et quelques ventes qui me permettraient de nouer les deux bouts. Là, je suis fatiguée, envie de dormir, envie de rien. C'est pas la bonne attitude pour aller dans deux heures présenter mon travail à la galerie Machin. J'enlève mes vêtements de « modèle », je me douche, je me retape et je file. (fin de la première étape)

Bon, la douche c'est fait, le maquillage c'est fait, je vais me relever les cheveux, ça fait plus dynamique. Voi-là. Mon press-book, mon porte-documents... et toujours la gueule de bois. Vas-y ma grande, la gloire t'attend... peut-être !

Et voilà notre héroïne dans la rue essayant d'avoir un air digne et décidé pour masqué son pas hésitant. Elle espère que l'air dissipera les vapeurs d'alcool qui embrument encore son cerveau, passant ses idées au mixer. Après 10 minutes sur des trottoirs sans intérêt, elle en connaît chaque cm pour les avoir arpentés souvent, elle arrive dans le quartier de la galerie d'art, quartier chic, maisons coquettes. Elle relève la tête, écarquille les yeux, s'arrêt net. Je lui laisse la parole.

« Mais je rêve, j'y crois pas ! Promis juré, j'arrête de picoler. Certains voient des éléphants roses qui grimpent au plafond et moi je vois un cheval blanc qui traverse les murs. Si mes grands-parents savaient. Des joyeux lurons ces deux-là, toujours le mot pour rire, toujours gais, toujours ensemble et toujours amoureux. Avec eux, jamais d'embrouille, jamais d'humeur maussade, ce que j'ai pu être heureuse avec eux ! C'est eux qui m'ont encouragée à vivre de mon art, qui ont cru en moi, qui ont joué les mécènes, ils ne voulaient que mon bonheur et ils étaient fiers de moi. Ils ne le seraient plus s'ils me voyaient maintenant avec mes hallucinations d'alcoolique en devenir. Ils perdraient le sourire, leur bonhommie, la tristesse s'inscrirait sur leurs visages vieillis. Papy. Mamy, je vous le promets, plus jamais d'alcool et je ferai une sculpture en votre mémoire ! »

Notre belle reprend ses esprits et continue son chemin. Ce que je sais maintenant, c'est que son travail a plu à la galeriste, qu'elle a vendu quelques toiles et elle est ainsi sortie de l'ombre, elle peut vivre de son travail. Comme le vent a tourné elle a pu sans peine respecter sa promesse faite à ses grands-parents un matin de brume et d'espoirs incertains.