Son coiffeur était formel, si elle perdait beaucoup de cheveux c'est qu'il c'était passé quelque chose d'important, de grave, bref de fortement émotionnel trois ou six mois auparavant.

C'était vrai, mais elle n'avait pas envie d'en parler. Elle avait vu sa sœur Léa souffrir du dos, puis de forts maux de tête et quand elle s'en était inquiétée, les métastases avaient migré au-delà des endroits douloureux. Il n'y avait plus beaucoup d'espoir. Entre trois et dix-huit mois, avaient dit les médecins. Mais elles savaient toutes les deux que trois mois voulaient dire "mettez vos affaires en ordre, prenez des dispositions quant à votre héritage éventuel" et dix-huit mois c'était parce que, en gros, ils ne savaient pas vraiment. Ce qu’ils proposaient pourrait aider non pas à la guérir mais à prolonger sa vie.

Alors avaient commencé les rendez-vous réguliers aux HUG, visites, analyses du sang pour voir si le traitement pouvait se faire, puis la chimio trois jours de suite, toutes les trois semaines. Après le troisième jour venaient la fatigue, les nausées, l'envie de rien pendant une semaine puis une amélioration la semaine suivante et la troisième semaine enfin elle était presque bien. Et déjà il fallait penser à la chimio suivante. Léa, qui avait une magnifique chevelure mi longue, avait pris soin de la faire couper assez court prétextant que ce serait plus pratique pour les baignades de l'été, c'est du moins ce qu'elle disait à ceux qui lui demandaient le pourquoi de ce changement de look. On lui trouvait mauvaise mine ? Juste un peu de fatigue. Elle ne voulait pas qu’on la plaigne et qu'on s'apitoie à son sujet.

Quand ces cheveux ont commencé à déserter sa tête par paquet, Léa a choisi le port d'une perruque et comme elle avait toujours rêvé d'avoir une chevelure châtain clair et lisse au lieu de ses boucles noires, coquettement elle a choisi la couleur et la qualité de ses rêves. Les remarques sur ce nouveaux choix étaient bien entendu au rendez-vous, mais son teint cireux, son corps décharné ne faisaient plus illusion, elle ne pouvait plus cacher l'avancée de la maladie. Léa a décidé de ne plus voir les personnes qui ne lui parlaient que de sa santé, elle les a mis à l'écart, prétextant un surcroit de fatigue. Si elle n'avait pas besoin de parler de sa santé en la décrivant par le menu, elle avait l'impression de faire encore partie des gens actifs qui peuvent aborder différents sujets de conversation. Elle ne laissait pas les silences s'éterniser, elle parlait d'une de ses lectures, d'un film vu à la TV, d'un sujet politique qui lui tenait à cœur.

Un jour les choses se sont précipitées, les métastases avaient grignoté ses cervicales tant et si bien que l'une d'entre elles s'est fissurée emprisonnant un nerf qui lui donnait des douleurs absolument insupportables. Transportée d'urgence aux HUG, Léa a été shootée aux antidouleurs et aux anti-inflammatoires, à la cortisone et à la morphine. Les douleurs ne lâchaient pas leurs griffes et Léa n'était présente qu'à la douleur et presque absente à elle-même. Les médecins ont avoué l'échec des traitements maximum qu'ils lui avaient administrés. Ils ont alors proposé une sédation afin qu'elle ne souffre plus, mais ça voulait aussi dire que peu à peu son pouls allait décélérer, que son souffle allait devenir un peu rauque et que dans quelques heures elle ne souffrirait plus. Les HUG ne parlent pas d'euthanasie mais de traitement de la douleur, de confort pour le malade. Personne n'est dupe et surtout pas eux.

Chaque membre de la famille a eu une dernière conversation avec Léa, ils ont pu se dire au revoir avant que le Dormicum ne soit dispensé à haute dose par la perfusion. Avant de partir, bien qu'inconsciente, elle a profité encore un peu de la présence de toute la famille réunie. Puis après un temps qui a paru infiniment long aux personnes présentes, après des moments presque insupportables à vivre, elle a expiré pour la dernière fois.

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Tout ç,a, elle ne pouvait pas le dire à son coiffeur, mais elle savait pourquoi ses cheveux tombaient comme les feuilles en automne.