Les Copines
S’il me fallait choisir entre mes deux amies, ce serait impossible. Je les aime toutes les deux, aussi différentes soient-elles l’une de l’autre.
Pourtant, il me devenait de plus en plus insupportable d’assister régulièrement à leurs disputes semaines après semaines.
On m’avait prévenue que le chiffre trois ne peut pas fonctionner en amitié, qu’il y a toujours quelqu’un qui reste sur le carreau.
Dans le cas présent je suis plutôt l’arbitre qui compte les points et ce soir trop c’est trop.
Caroline accuse Sabine de ne jamais lui rendre ses affaires et Sabine veut des exemples concrets. Le ton monte et comme à chaque fois j’essaie de les calmer en changeant de sujet. Parfois ça marche mais pas ce soir.
Alors j’ai décidé que c’en était terminé. Ce serait la dernière fois que je les verrais toutes les deux ensemble. J’opterai pour une semaine sur deux comme un enfant qui voit son papa la semaine paire et sa maman la semaine impaire. Je me suis donc levée, j’ai fait la bise à Caroline un peu sèchement, j’ai fait de même avec Sabine et je suis partie. J’ai senti dans mon dos leur regard et un silence pesant. J’espère qu’elles ont compris qu’elles me tapaient sur le système.
La semaine suivante, j’ai contacté Caroline pour une sortie resto. Dès son arrivée, elle s’est mise à regarder partout, puis a demandé :
- Elle n’est pas là Sabine ?
- Non, ce soir on n’est que toutes les deux.
- Ah ? Elle est malade ?
- Non, je ne lui ai pas proposé de venir.
Caroline, stupéfaite, ouvre deux grandes mirettes remplies d’incompréhension.
- J’en ai marre de vos disputes incessantes, alors j’ai décidé de vous voir séparément.
- Sans nous demander notre avis ? s’exclame Caroline et elle ajoute :
- T’es gonflée !
- Pourquoi ? ça te manque les chamailleries ?
- On ne se chamaille pas on discute ! T’as un problème, ou quoi ?
Caroline a le culot de me poser cette question.
- Alors ça c’est la meilleure ! Chaque semaine vous vous querellez sans fin pour des broutilles, un livre pas rendu, un maquillage mal fait, un cadeau qui n’en est pas un, bref, j’aurais des collections d’exemples à te donner et au lieu de vivre une soirée à rigoler entre copines je passe mes soirées à essayer de vous calmer.
Caroline de rétorquer :
- Si on ne peut même pas débattre tranquillement avec Sabine sans que tu le prennes mal, tu as raison de vouloir passer tes soirées seule. Salut et bonne soirée !
Caroline s’est levée et m’a plantée là comme une gourde. Je n’y comprends plus rien.
La semaine suivante, j’ai tenté la même expérience mais cette fois avec Sabine. Au téléphone, je lui ai trouvé un ton bizarre.
On s’est donné rendez-vous dans un pub car nous n’avions pas envie de manger.
A mon arrivée, Sabine est déjà installée.
D’un ton légèrement acide elle me demande avant que j’aie eu le temps de m’asseoir :
- Et Caroline, elle n’est pas invitée à notre petite sauterie ?!
Ça ressemble plus à une accusation qu’à une question. Je lui réponds par une autre question :
- Tu lui as parlée récemment ?
- Oui, qu’est-ce que tu crois ? On est des copines, nous, on se parle, on ne s’aboie pas dessus comme tu as l’air de le penser.
- Alors là, je ne vous comprends plus du tout. Lorsque vous êtes séparée vous vous mettez d’accord pour vous entendre contre moi et lorsque vous êtes ensemble vous m’ignorez car vous êtes entièrement absorbées par vos disputes.
- Pourquoi tu t’entêtes Martine ? Caroline t’a déjà expliqué que l’on ne se dispute pas, on s’exprime, tu ferais bien d’en faire autant plutôt que de faire tapisserie dans nos soirées.
- Parce qu’il n’y a pas à dire, on se fait chier avec toi toute seule !
Sabine se lève et s’en va.
J’en suis toute retournée, j’ai la nausée, la tête me fait mal, je n’ai même pas la force de me lever, je viens de perdre mes deux meilleures copines et je n’ai rien compris.
Suis-je aussi aveugle pour avoir tout confondu ?
Soudain, je vois Caroline et Sabine bras-dessus bras-dessous toutes souriantes s’approcher de moi.
Caroline :
- On t’a bien eue, hein ?
Sabine de renchérir :
- Ah ! Ouais ! Sur ce coup-là on s’est bien mis d’accord !
Je les regarde à tour de rôle sans comprendre, des larmes me montent aux yeux, trop d’émotions m’envahissent.
Caroline me prend dans ses bras et me dis :
- Merci Martine. Tu nous as ouvert les yeux. C’est toi qui as raison, on se pourrissait toutes nos soirées, c’était comme un jeu malsain.
Sabine de continuer :
- Oui si tu n’étais pas partie l’autre fois ça aurait pu continuer des années, sans fin. Tu nous as fait un électrochoc.
Après ton départ on s’est expliquée Caroline et moi et on a décidé d’arrêter de se chamailler pour rien.
Caroline reprend :
- On avait en fait une vieille rivalité à cause d’un garçon qu’on aimait toutes les deux au lycée et on a gardé cette jalousie tout au fond de nous pendant toutes ces années sans pouvoir s’en débarrasser. Mais maintenant grâce à toi on est guéri !
Sabine continue :
- Du coup on a décidé de te faire marcher un peu et de te montrer comme ça fait mal de s’engueuler et que tu avais raison de vouloir que ça cesse. Par contre on ne voulait pas te faire du mal, juste un peu t’enquiquiner à notre tour !
J’en suis toute retournée, ah les nouilles, elles m’ont fait une de ces peurs ! Mais je les adore !
Trois c’est décidemment un très bon chiffre !