Et blablabla, le mari d’Elodie était intarissable et n’en finissait pas de trouver toutes les qualités possibles à la voiture qu’ils devaient acheter pour remplacer l’actuelle qui n’avait pas passé la visite du service des autos. La faire réparer était fort couteux et ce serait toujours une vieille voiture. Alors ces derniers temps, Bastien était plutôt monothématique. Il parlait du break de ses rêves partout, avec tous les hommes qu’il rencontrait : au turbin, au foot, à table avec des amis. L’enthousiasme de Bastien n’avait d’égal que la lassitude d’Elodie dont l’avis n’était pas écouté parce que pas entendu.

Pourtant Elodie savait qu’avec les deux sièges enfants à l’arrière, cette voiture n’était pas assez spacieuse pour qu’elle puisse, lors de longs voyages, aller s’asseoir entre ses deux jumeaux afin de les distraire avec des petits jeux ou pour leur lire une histoire. Elle subodorait que le coffre avait une contenance inférieure à l’actuel, ceci malgré le prospectus qui annonçait en litre un volume géant pour les bagages. Elle avait dans l’œil le format de chaque valise, chaque sac et autre fourre-tout nécessaires à leurs déplacements réguliers dans le sud de l’Espagne. Et ce volume n’allait pas diminuer quand les enfants grandiraient.

Elle essayait de se convaincre que son mari avait peut-être raison. Un des points forts avancés : la clim. Dans le Jura on avait plus souvent besoin d’un bon chauffage en hiver et pendant l’essai ce point ne lui avait pas semblé gagné, elle avait l’impression que celui-ci démarrait avec lenteur. On pouvait bloquer la vitesse de croisière. Pour elle ce n’était pas un problème de respecter les limitations ou de moduler sa vitesse selon le trafic. Le GPS intégré, pas vraiment utile. Comme son mari était routinier il proposait toujours le même endroit pour les vacances et on connaissait la route par cœur.

Est-ce qu’elle devenait de mauvaise foi pour défendre l’idée que cette voiture n’était pas celle qu’il leur fallait ? Elle commençait à douter. Avec sa mâle assurance, il finissait souvent par la déstabiliser alors elle se taisait fatiguée de se battre, le plus souvent en vain. Il ferait finalement comme il voulait, sûr que d’avoir initié cette pseudo discussion faisait de SA décision une décision commune. Une idée particulière de la négociation.

Le dernier round se passait dans leur salon. Les prospectus étalés sur la table basse, chacun argumentait une dernière fois. Tout ce que disait Elodie était balayé par des arguments positifs maintes fois entendu et c’est vrai, elle savait qu’elle ne voulait pas de cette voiture, mais elle n’avait pas de proposition pour un autre modèle. Bastien n’avait plus qu’à signer l’acte d’achat, alors ultime argument :
- Tu ne la conduis pas souvent, tu t’en accommoderas. Entre les mots elle entendait « en tant que femme qu’est-ce que tu y connais ? »
C’est vrai qu’elle conduisait rarement sur les longs trajets mais elle conduisait chaque jour ses enfants à la crèche à l’autre bout du village, bientôt se serait à l’école du village voisin.

Effectivement, quelques mois plus tard, tout fier Bastien est arrivé au volant de la voiture de ses rêves. C’est vrai elle a de l’allure, mais est-ce que ça suffira pour en faire la bonne voiture pour leur famille. Elodie espère juste qu’à l’avenir, le mâle fier de son carrosse ne passera pas ses samedis à briquer l’engin. Elle a vu leur voisin faire ainsi semaine après semaine et c’est lui qui a été de mauvais conseil pour l’achat de cette voiture.

Arrive le jour de départ en vacances, les bagages sont encore alignés derrière la voiture car Bastien a déjà essayé trois façons de les loger dans le coffre miracle. Il se gratte le sommet du crâne, se frotte le menton, signes d’intense réflexion. Mais il n’y a pas de magie, malgré toutes les tentatives de son mari Elodie aura des paquets sous ses pieds, elle ne pourra pas s’asseoir entre ses enfants car la fixation des sièges enfants a posé problème, elle se tordra donc le dos pour s’en occuper et forcément elle demandera plus d’arrêts. Si c’est négociable. Pas sûr. En revanche Bastien pourra bloquer la vitesse sur les autoroutes et ils apprécieront sûrement la clim dans le sud de l’Espagne.

Même si Bastien s’est rendu compte qu’Elodie avait vu les problèmes mieux que lui, il n’est pas à même de le reconnaitre. L’avouer serait déchoir. Malheureusement, aveu d’erreur et excuse ne sont pas inscrits dans son ADN. Une infaillibilité quasi papale ? Même s’il a vu dans les yeux d’Elodie la petite lumière malicieuse s’allumer chaque fois qu’il s’est trouvé devant une évidence qu’elle avait soulevée. Il sait bien que non, il sait qu’elle ne le dira pas, mais elle le pense si fort : Tu vois je te l’avais bien dit !