Gino attend au feu rouge d’une grande artère de la ville. Il a regard vissé sur le feu tricolore quand soudain sa portière s’ouvre et le porte-documents qui se trouve sur le siège passager est arraché par une jeune femme qui fuit en courant. Gino s’éjecte de l’habitacle de sa luxueuse voiture de sport et la poursuit, parvient essoufflé à la rattraper, la plaque au sol.

- Rendez-moi ce porte-documents, hurle-t-il hors d’haleine.
- Tu m’écrase, souffle la jeune femme se débattant, lâche-moi !
- Rends-moi ce que tu m’as volé (Gino se relève maintenant fermement le bras de la voleuse). (à part) Heureusement, la rue est déserte !
- Quand on a la bagnole que tu as, t’as les moyens de t’en racheter douze de ces machins, dit-elle la voix rageuse, lâche-moi. Tiens, le voilà ton porte-documents (elle jette l’objet sur le trottoir en tentant de se dégager).
- En effet, j’ai les moyens de m’en acheter même vingt si je veux, mais le contenu n’a pas de prix, souffle Gino.
- Ah ouais tu caches quoi dans ton attaché-case (le mot attaché-case est prononcé avec mépris, comme craché) ? Le fric que tu piques à moins bien lotis que toi ?

(Gino se calme, l’observe). (à part) Cette fille doit avoir 17 ans. L’état de ses vêtements, ses cheveux en nid de corbeau et sa maigreur lui donnent un air vulnérable qu’elle tente de cacher avec la brutalité de son corps et l’agressivité de sa voix, elle doit dormir dans la rue étant donné le manque d’hygiène de sa tenue.

(La maintenant toujours, il se radoucit)
- Ce n’est pas de l’argent, ce sont des dossiers importants et confidentiels. (Une pause, il reprend son souffle). Comment tu t’appelles ?
- Qu’essa peut te foutre ? crache-t-elle.
- Dis-moi ton nom ?
- Je t’emmerde ! (elle veut lui cracher dessus, se contorsionnant, elle le rate).
- Je vois surtout que tu es dans la merde et je peux peut-être t’aider, tu as besoin de fric ?
- Tu veux l’échanger contre quoi, j’suis pas à vendre !
- C’est pas un échange, ce serait … un don !
-
(La fille éclate d’un rire étranglé)
- Un don, mais je rêve on m’a jamais rien donné, j’ai toujours dû réclamer ou bien j’ai pris ou volé si tu préfères.
(Gino relâche un peu la prise de sa main sur le bras de la jeune femme qui aussitôt tente de s’arracher, il resserre mais moins fort).
- Tu ne m’as toujours pas dit ton nom, le mien c’est Gino et je ne te veux pas de mal.
- C’est pour me dénoncer aux flics que tu veux mon nom ? (Ironique, elle lâche) Je m’appelle Sophie… ou peut-être Manuela, j’aime bien aussi Emma. Tu choisis lequel ?
- OK Emma. Je suis sûr que tu as faim. Je t’offre un repas au Mc Do et dis-moi, où tu vas dormir ? Je peux te donner un peu d’argent pour une nuit dans un hôtel.
(Elle réfléchit) (à part) Dormir une nuit à l’hôtel serait l’occasion de se laver, de mieux dormir, sans crainte d’être repérée et embarquée par les flics. (Elle se détend) (à part) Peut-être qu’il dit vrai, qu’il veut m’aider, j’en peux plus de zoner.

(Très ferme elle reprend, le fixant dans les yeux)
- Pas question de passer la nuit avec toi !
- Pas question non plus de passer la nuit avec toi. J’ai plus de deux fois ton âge, et je ne t’offrirai pas le prix du Ritz dans lequel je pourrais me payer une suite.
- (Gouailleuse) Ouais ça se voit que t’es plein aux as, la bagnole, les fringues, le porte-document avec tes initiales… (petite pause, puis d’une voix bien radoucie) Pourquoi tu ferais ça pour moi ? C’est ta BA du jour ou de la semaine ?
- Ni du jour, ni de la semaine… Ben… disons que… qu’il y a un peu plus de vingt ans… j’étais pas dans la rue… mais presque. Quelqu’un m’a aidé, un peu, et à la force du poignet, j’ai pu empoigner ma vie. C’est tout.
-
(Ils se regardent, elle continue à le jauger, il lit la méfiance et la détresse dans son regard).
- Bon, je vais te lâcher. Je vais aller récupérer ma voiture. Je te donne rendez-vous au Mc Do deux rues plus loin. Tu viens ou pas. Tu as le choix.
(Il la lâche et prend la direction de sa voiture sans se retourner).

(Un peu plus tard, il est attablé au Mc Do) (à part) Bah, cette pseudo nourriture dont je devais me contenter il y a fort longtemps…

Il guette. Il fait nuit. Soudain il la voit s’approcher, hésiter, pousser la porte de l’établissement et venir s’asseoir en face de lui.

- T’as bien fait de venir. Tu prends tout ce que tu veux, mais ne te rends pas malade. Quand on a l’estomac vide depuis longtemps c’est difficile, il peut renâcler à recevoir trop d’un coup.
- (Toujours agressive) Ah parce qu’en plus, tu veux prendre soin de mon estomac. T’es qui toi en plus d’être Gino ?
- (Posant ses coudes sur la table, joignant les mains, Gino reprend) Je récapitule : je t’ai dis que j’avais été dans la même situation que toi, dans la mouise. Donc, j’ai eu faim aussi. J’ai aussi eu la tentation de voler, mais je ne l’ai pas fait. Finalement je n’en ai pas eu besoin. Et en plus d’être Gino je suis devenu médecin et mon diagnostique est que tu devrais pouvoir te reposer quelques jours dans un endroit sûr, et aussi pouvoir manger à ta faim si tu ne veux pas tomber de faiblesse dans la rue.
(Emma ou peut-être Sophie ou encore Manuela n’en revient pas). (à part) On peut avoir été dans la misère la plus poisseuse, comme moi, puis faire des études de médecine et devenir riche… incroyable.

- J’ai pas un rond pour suivre ton traitement, alors je vais commencer par me remplir l’estomac et après on verra…
- (Il sourit, un peu moqueur) Pendant que je t’attendais j’ai sorti une enveloppe de mon attaché-case à initiales dorées, et de mon portefeuille en croco quelques billets pour que tu puisses voir venir comme tu dis. J’ai aussi mis ma carte de visite, comme ça si tu veux plus d’aide, tu sauras où me trouver. Voilà, c’est tout.
- (Esquisse d’un sourire et voix neutre). Merci… je… je m’appelle Manuela.
(Gino se lève, règle l’addition des repas et la laisse se régaler.)
- (Il sort en se retournant pour lui sourire) Salut Sophie. Peut-être à bientôt !