Récit de mon grand-père
Je suis repassée cet après-midi devant sa porte. Elle était entrouverte. Je me suis permis d’entrer après avoir heurté plusieurs fois très fort. Il a fini par se retourner. En m’apercevant , il a soupiré. De ses yeux las, il m’a fixé un moment avant de me dire de sa voix chevrotante: "Ah! C’est toi! Que veux-tu savoir que je ne t’aille pas déjà raconté? "
Et comme je m’y attendais, il a recommencé depuis le début.
« J’étais démuni, je n’arrivais plus à gérer ses crises qui devenaient de plus en plus sévères et fréquentes. J’avais mon travail. La vigne ne pouvait pas pousser toute seule. Et les gosses… Suzanne n’avait que 9 ans, Edith n’était qu’un bébé.Entre les deux il y avait Pierre et ta mère d’à peine 4 ans. Comment reprendre seul en main une éducation que ta grand-mère ne pouvait plus assumer. J’ai fini par céder quand on m’a incité à la conduire à la clinique. Ce n’est pas de gaité de coeur que je l’ai fait. Pour le bien des enfants, c’était le meilleur choix.
Je me souviens quand je l’ai laissée là-bas, quand le grand portail s’est refermé, elle ne s’est même pas retournée pour me faire un signe. Et moi, j’ai pleuré tout au long de l’allée et même dans le train qui me ramenait jusqu’à la maison. Cette maison qui, sans elle, n’a plus jamais ressemblé à celle que j’avais connu jusque là. Les enfants étaient impatients de me revoir. Comment leur expliquer pourquoi je rentrais seul. J’ai expliqué à Suzanne . Elle a beaucoup pleuré. Quand je lui ai dit que nous pourrions peut-être aller quelquefois ,le dimanche, à la clinique et qu’elle était assez grande pour s’occuper de ses frères et soeurs, elle s’est montrée raisonnable. Elle a tout de suite pris son rôle de petite maman très au sérieux. Les petits s’en sont bien accommodés.
J’ai gardé longtemps l’espoir que leur maman puisse guérir.
A chaque visite, c’était un déchirement. Les petits avaient beau lui témoigner toute la tendresse et l’affection possible, en vain. Son monde n’était plus le nôtre. Elle vivait de plus en plus dans sa bulle. »
Là ,mon grand-père s’est interrompu. Il m’a regardé de son air las. « Je sais, me dit-il, tu vas encore t énerver contre les institutions psychiatriques. Tu vas me dire qu’elles ne l’ont pas soignée comme il aurait fallu. On était en 1930!! On ne connaissait pas les traitements actuels. Arrête de te persuader que cela aurait pu être différent! Ta mère s’en est bien sortie! Quelle idée as-tu de toujours me rappeler tout ça?! J’ai envie de me reposer, là, maintenant! Baisse un peu le store, je vais faire une sieste.
récit de mon grand-père
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- Auteur : Hélène