50 ans

 

Ce dimanche c’est mon 50ème anniversaire et si je fais le bilan de ma vie, j’ai une sensation de vide, comme si une partie de moi était en hibernation.

La crise de la quarantaine que j’ai traversée a été dévastatrice, j’ai fait un sacré ménage dans ma vie et une belle grosse remise en question.

En effet, après avoir élevé mes deux enfants et chouchouté mon mari, je me suis rendu compte que je m’étais perdue au milieu de leur vie, de leurs attentes. Je dirai même que je me suis noyée dans leur nombril. Cela m’a pris des années pour claquer la porte de la maison, j’en ai été surprise moi-même. Je les ai laissés à la vie parfaite qu’il aurait eue sans moi.
Je les ai débarrassés de la sorcière des affaires qui trainent, de l’adjudant de l’emploi du temps et j’en passe.

Cela fait maintenant quelques années, huit pour être exact, que je me suis installée dans un petit nid douillet, pas trop grand, mais décoré à mon image. Un immense canapé écru trône dans le salon, sans aucune tâche de chocolat, où les coussins sont toujours à leur place. Un grand tapis couleur taupe, avec des très longs poils, sans aucune miette de biscuits ou de chips qui se cachent dedans. Aux murs, des tableaux d’arbres et de fleurs dans dans des couleurs pastels. Des bougies sont disposées partout et je m’offre chaque semaine un ou deux bouquets de fleurs, une vieille habitude de famille. Le frigo est toujours rempli et ce qui m’impressionne encore, c’est que tout reste à sa place.

Plus besoin de faire face au conflit après ma journée de bureau et j’apprécie le calme retrouvé de cet endroit. Vous devez me trouver extrêmement égoïste, mais je m’en fous. J’ai rempli ma part du contrat et j’ai souvent ce sentiment amer que certain n’ont pas accompli la leur. C’est une question de point du vue.

C’est l’âge où la plupart d’entre nous avons accompli notre rôle de mère et amené notre progéniture à leur fameuse indépendance. Après des années de travail, notre situation financière, nous permet enfin de nous offrir des plaisirs qu’on n’osait pas espérer à 20 ans et j’ai envie de rajouter que nous n’avons a plus rien à prouver à personne.

Bon, je vous l’avoue quand dans ma petite vie bien rangée il y a une ombre au tableau. La solitude du quotidien. Eh oui il me manque quelqu’un à aimer, avec qui partager. Même si je sors régulièrement et je passe la plupart de mon temps avec des collègues ou des amis, je m’ennuie un peu de retour dans mon cocon. Si je me suis autant battue pour retrouver la femme qui était en moi, c’est bien pour la partager avec quelqu’un.

Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Mes amies et moi sortons souvent, nous fréquentons des cercles d’activités différentes pour élargir notre réseau. Mais rien de rien à l’horizon, même pas une occasion manquée. Elles avaient décidé de trouver mon prince charmant, elles m’ont donc organisé des rendez-vous avec leurs amis célibataires, m’ont inscrite sur des sites de rencontre. Je me suis même retrouvée sur un bateau de croisière, un comble pour une personne qui a le mal de mer. J’ai d’ailleurs détesté tous ces rendez-vous arrangés.

Quand je disais qu’on n’avait plus rien à prouver à cinquante ans, je me suis peut être trompée sur ce point. Pourtant, depuis que j’ai quitté mon costume de mère, d’épouse, de femme de ménage et de cuisinière, je me soigne. J’ai retrouvé l’apparence et l’éclat, de la femme que j’étais. Certaines de mes rides on disparu, celles de la sorcière sûrement, mes traits se sont radoucis, ça c’est l’adjudant qui s’est en allé et j’ai perdu quelques kilos grâce au temps que j’ai retrouvé pour m’occuper de moi. Donc je ne suis pas encore à jeter.

Je sais que mes copines me préparent une fête d’anniversaire ce soir, ce n’est pas une surprise et je suis même contente de revoir tous mes amis lors de cette soirée. J’aurais juste voulu être accompagnée. Franchir ce cap qui est important pour moi. Un passage difficile dans la vie d’une femme.

Si je vais chercher au plus profond de moi, je crois que je n’ai jamais vraiment oublié Nathan. Après toutes ces années passées sans lui, je n’ose m’avouer que c’est lui le seul homme de ma vie, le père de mes enfants. Il a bien essayé de m’approcher et de discuter quelques fois, mais rien n’y a fait. Je me suis protégée en dressant de grands murs d’indifférence autour de moi. Tous ces mots n’ont fait que ricocher sur moi pour ne plus m’atteindre. J’ai ajouté à cela le silence pour ne plus souffrir ce qui, à la longue l’a découragé. Dans mes moments de lucidité, je sais que ce n’est pas lui en tant qu’homme que j’ai quitté, ni mes enfants mais c’est la femme qu’ils m’ont laissé devenir dont je voulais me débarrasser. Je crois qu’avec le temps, elle s’est en allée avec toute son amertume, sa colère et ses regrets.

Je fais encore un petit crochet par la salle de bain, dernières retouches de maquillage. En passant devant le miroir de l’entrée, j’observe ma silhouette et j’aime celle que je vois. Je me sens bien et heureuse.

Mes amies vont venir me chercher dans quelques minutes pour une superbe soirée en l’honneur de mes 50 printemps.

Quand la sonnerie retentit à la porte, c’est sans surprise que je l’ouvre en prenant mon sac et mon foulard au passage.

Soudain lorsque je lève les yeux, je me retrouve là, plantée comme une potiche, plus un mot ne sort de ma bouche et mon cœur bat la chamade. J’ai l’impression que mes jambes se dérobent, qu’elles ne veulent plus soutenir mon corps, je ressens des fourmillements dans le bas de mon ventre, vous savez tous ces petit maux qui s’en prennent à vous quand vous êtes en face de l’être aimé.

Nathan est là dans l’encadrement de la porte, du haut de ses un mètre quatre-vingt, avec un sourire aux lèvres, dans un magnifique costume en lin. Il a vieilli, il porte une barbe de quelques jours, ça lui va bien. A la main il a un bouquet de fleurs, des pivoines, mes préférées.

Il me tend son bras et m’emmène avec lui. Ce soir, je serai accompagnée.