Qui un jour vole un œuf, volera un jour un bœuf !

Alice est une jolie petite fille rousse. Elle a des petites couettes volant au vent quand elle court. C’est aussi une chipie de la plus belle espèce.
De ses yeux verts amande elle foudroie Mlle Grinche, l’institutrice de la petite école du village. L’école ressemble fort aux écoles des temps anciens !
Un observateur dirait que cette sorte d’école dans un village pourrait bien receler de biens étranges évènements.
Les maisons étroites se dressent biscornues vers le ciel.

« Qui vole une bille ou un œuf un jour, volera un jour un bœuf ! Dit la maitresse et elle ajoute. « Alice, tu ne dois pas chiper les billes de Chloé, même si elle a triché ! Hein ! »
« Ou des nuits ! » réplique Alice.
« Car comme les chats sont gris, les bœuffs sont gris la nuit…et placides ! » assure encore l’impertinente Alice.
« On ne dit pas des bœuffs !» intervient la petite Chloé. « On dit des beuhhs. C’est mon tonton qui me l’a dit, il a deux grands beuhhs dans son étable, et des vaches blanches et noires, aussi ! »

Après un instant où les yeux d’Alice ont lancé des regards acérés de colère ou de réprobations, elle sourit malicieusement !
Ses lèvres laissent apercevoir à leurs commissures deux petites canines aiguisées.

Alors Alice fouille dans la grande poche de son petit tablier d’écolière.
Elle en sort, le tirant par les oreilles, un grand lapin blanc. Il s’échappe d’un bond agile et atterrit sur le sol.
Alice retire encore une longue baguette d’un sac rouge tiré de sa poche. Une étoile argentée orne l’extrémité du bout de bois.
Puis, c’est une tortue qui s’échappe de la poche d’Alice et roule sur le sol. Où sur le dos, elle agite ses pattes nerveusement. Alice la retourne d’un geste vif.
Alice ne voit pas le lapin fouiller le sac rouge. Il en sort une trompette dorée et un tambour d’enfant. Il jette le tambour et admire la trompette, souffle un petit peu dedans. Une fine poudre dorée s’envole vers le ciel. Le lapin souffle plus fort, beaucoup plus fort dans l’embouchure.
Des notes modulées grimpent dans l’air tiédi de l’après-midi sous le regard stupéfait de Mlle Grinche.
Effrayée, la petite Chloé, s’est réfugiée dans la jupe de Mlle Grinche.
Tandis que le lapin blanc juché sur le dos multicolore de la tortue, souffle dans l’instrument à vent, Alice bat la peau du tambour et se met à danser autour des animaux sensationnels. Elle sautille, tournoie. La tortue entame une petite danse un tantinet maladroite…Mais peut-on le lui reprocher, lui en vouloir ?
« Essayez donc de danser avec un lapin blanc qui souffle dans un cornet sur votre tête pour voir ? » profère Alice en foudroyant de son regard vert amande Mlle Grinche.

A quoi bon voler un œuf, une bille quand on peut sortir de la poche de son tablier d’écolière des merveilles, des prodiges, étonnant le monde avec des illusions, des fantasmagories, des songeries ou des rêves ?

Il faut comme Alice, prêter attention à nos songes et prêter l’oreille au chant des sirènes. C’est cette matière qui nourrit notre imaginaire, ou doit le faire !

L’être humain est un terroir fertile, un univers, en lui-même !
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