L'homme marche dans la rue à grand enjambées, la chaîne accrochée à son pantalon claque à chaque pas. Sa veste constellée de clous est ouverte sur un t-shirt décoré de la figure grimaçante d'un clown agressif. Carine regarde cet homme qui arrive au loin et s'amuse des efforts des gens pour se pousser et ne pas le regarder. Le style agressif du rebelle lui donne comme un bouclier d'invisibilité factice.


Carine s'amuse des réactions des passants, elle avance en direction de l'homme tout en l'observant. Ses cheveux ont une coupe improbable, déstructurée et une mèche tombe sur son œil. Son visage.. semble flou. Sa peau est grêlée, Carine tente de mieux voir et là elle réalise que son visage est... que le côté gauche de son visage a été gravement brûlé !
La violence de ce visage ravagé est comme absorbé par le look rageur de l'homme. Carine ressent comme un poing qui broie ses entrailles, il la bouleverse. Elle le croise d'un peu trop près, elle sent le frôlement de son bras vers son épaule. Cette ébauche de contact lui donne du courage, elle fait volte-face et se met à le suivre.
Carine observe tout, sa démarche, son style, les réactions qu'il provoque. Cet homme sera sa muse. Elle aimerait connaître son histoire, savoir ce qui lui est arrivé, comment sa chair a pu être si marquée.
Ils sont au centre-ville, la foule est de plus en plus dense. Elle se rapproche pour ne pas le perdre et soudainement, l'homme rentre d'un pas sûr dans un hall de marbre. Le gardien se lève prestement et lui fait un grand sourire. L'homme hoche la tête et passe une porte. Emilie observe depuis la vitre et surprise, regarde les plaques sur le mur, uniquement des plaques de sociétés. Perplexe, elle regarde encore, elle hésite à partir ou à entrer mais surprenant le regard inquisiteur du gardien, elle fait demi-tour pour se cogner contre quelqu'un, l'homme. Il se tient derrière elle avec un regard dur. Emilie se dit qu'il a dû la voir et qu'il est sorti par une autre porte pour la surprendre. Elle a peur de sa réaction, surtout que l'homme la regarde durement, de près sa figure est encore plus impressionnante. Emilie, un peu tremblante, soutient son regard. Ils se regardent, elle gênée mais captivée et lui furieux. Soudain Emilie s'élance, voulant le contourner et s'enfuir. L'homme lui attrape le bras et lui demande :
- Reste là ! Pourquoi tu me suis ?
- Je ne sais pas ... votre présence peut être
- Quoi ma présence , tu te fous de moi ! hurle-t-il
- Nnooon, laissez-moi partir, je suis désolée bégaye Emilie encore plus mortifiée
Plusieurs passants se retournent et ralentissent pour regarder la scène, ils dévisagent l'homme et Emilie se sent de plus en plus mal à l'aise. L'homme la dévisage froidement, le visage fermé. Emilie sent qu'il va l'insulter, alors d'un coup elle lâche : « Je vous ai suivi, car j'admirais votre force, votre prestance. Je suis artiste, je vois de la beauté en vous, j'aimerais vous photographier... je ne sais pas je voulais vous voir »
- Ouais la foire aux monstres, je ne suis pas partant. L'homme paraît blessé et fait mine de s'éloigner
Emilie le retient : « Non, rien à voir. Je vous offre un café et je tente de vous expliquer, je vous montre mon travail. »
L'homme la regarde , semble la jauger et soudainement lui tend la main : - Je m'appelle Yann.
Emilie prend sa main doucement, lui sourit et se présente à son tour.
- Je suis ok pour un café, il y a un bar au dernier étage, j'accepte ton invitation. Tu auras l'occasion de me montrer ton travail. Ton culot a fini par m'intriguer.
Emilie sent sa respiration repartir et le suit.
Le gardien appelle l'ascenseur, l'allée est vraiment luxueuse. Emilie se dit que son café risque de lui coûter cher. Ils montent. Le café est à moitié plein, les personnes présentes sourient à Yann, personne ne le regarde bizarrement, Emilie est de plus en plus intriguée.
Ils commandent, puis Yann la regarde et dit : « Montre-moi ». Emilie tend son téléphone et lui montre des photos, toutes ses photos présentent des objets abimés mais si joliment cadrés qu'ils semblent être la plus belle chose de la terre. Ils arrivent à la section des portraits et là pareil le visage buriné d'un homme semble raconter la merveilleuse histoire de sa vie et une impression de sérénité se dégage de l'ensemble. Yann parcourt les images rapidement puis plus lentement. Emilie le regarde et guette ses réactions.
Au bout d'un moment il dit : « C'est très beau, tu as du talent, mais j'ai rien à faire dans ta collection. Je suis horrible et j'en ai conscience. Tu vois, si ici je suis respecté c'est que les gens me connaissant, ils savent qui je suis, ce que fait ma société. Mais ailleurs, je ne suis qu'un monstre.
- Un monstre malin ! répond Emilie du tac au tac, d'un ton espiègle.
- Quoi !
- Ton look et tes cheveux font que les gens se focalisent sur toi de manière globale et ton visage passe presque inaperçu. C'est futé.
- Ah, tu as compris... Je préfère inspirer la haine et la peur plutôt que la pitié.
- Oui, je comprends. Tu dégages de la force, tu es sûr que tu ne veux pas poser pour moi, un portrait personnel, je ne l'exposerai pas si tu ne le veux pas.
Yann hésite. Pour la première fois depuis 20 ans, date à laquelle il a été défiguré par une casserole d'eau bouillante, il se sent humain. Il regarde cette femme et cherche à la comprendre. Elle est assez jolie, son style est assez recherché mais classique. Que cherche-t-elle ? Pourquoi lui ? Il décide de s'en moquer, elle le regarde franchement et ça lui fait du bien. Il ira.