Atelier d'écriture du 08.11.2014.
Contrainte : utiliser deux figures de style, soit :
• Oxymore : un silence éloquent ou
une obscure clarté (un nom + un adjectif)
• Litote : je ne suis pas fâché de ...
Je ne vous hais pas...
Il n'est pas laid...
C'est à dire atténuer ce que l'on dit par une négation.
* * *
Je viens de sortir du haut de ma bibliothèque un de ces catalogues qu'on achète avec enthousiasme à l'issue d'une exposition et qu'on oublie presque aussitôt. Celui-ci a été si longtemps délaissé qu'avant de l'ouvrir je dois souffler la poussière accumulée sur sa tranche. Mais quel plaisir de redécouvrir les reproductions de Félix Vallotton peintre d'origine Suisse, disparu alors que le XXe s n'avait que 25 ans.
Soudain, sur une même page, deux reproductions bien différentes attirent mon attention. L'une est une lithographie qui montre des femmes aux visages torturés luttant dans le vent et l'autre une peinture montrant un couple visiblement aisé, assis dans une somptueuse loge de théâtre. On ne voit que la moitié du visage peu amène de l'homme en tenue de soirée, tandis que le visage triste de la femme est à l'ombre d'un grand et couteux chapeau. Ces deux personnages sont un peu perdus entre le noir du fond de la loge et le jaune or du balcon.
Mon imagination est titillée, j'y vois deux classes bien différentes : les bourgeois et les ouvrières au tournant du XXe siècle. Et dans la foulée, une chanson me vient à l'esprit, celle du chanteur engagé, Michel Buhler :
« C'est toujours les p'tits qui s'mouillent quand viennent l'automne et la pluie,
C'est toujours les p'tits qui s'mouillent, les gros sont bien à l'abri, ici. »
Ce refrain chanté dans les années 80 aurait été d'actualité en 1900, tout comme il l'est, hélas, encore de nos jours.
A l'époque de ces reproductions, même les femmes du peuple portaient longues robes et chapeaux, il y eut bien des luttes afin d'améliorer le sort des « p'tits » et les « gros » avaient bien des difficultés à lâcher leurs privilèges, à considérer les « p'tits » humainement, socialement et éventuellement solidairement.
* * *
Ce jour-là est un jour de pleine et complète tourmente. Le vent glacial voulant montrer sa toute puissance s'acharne sur les chapeaux et rien ne peut l'empêcher de transpercer les modestes vêtements plus qu'élimés. La pluie qui a déjà fait son œuvre, accentue l'impression de froid. Dans la rue, les femmes sont solidaires, serrées les unes contre les autres, le cœur en berne, le moral défait, le froid les envahit de l'intérieur comme de l'extérieur. Quelques enfants les accompagnent, ceux qui peuvent déjà, avec leurs petits doigts, attacher les fils lorsqu'ils cassent sur les métiers à tisser.
Il y a une heure, à leur arrivée à l'usine, on leur a annoncé qu'il n'y a plus assez de travail pour tout le monde, les commandes baissent en même temps que les profits. Le patron a décidé de ne garder que les hommes. Il a appelé au calme en disant :
- Je ne vous veux pas de mal, je n'ai pas envie de me séparer de vous toutes, mais je le dois pour assurer la pérennité de mon entreprise.
Les estomacs se sont noués, les mains se sont glacées de sueur froide, les larmes ont coulé, un grand vent de douleur et de malheur s'était abattu sur la moitié du personnel, la moitié que l'on dit faible et qui va devoir se battre avec opiniâtreté. Car parmi les « p'tits » les plus « p'tits » sont les femmes et les femmes sans mari complètement anéanties, petites parmi les petites.
Toutes ont emporté leur blouse de travail, pris leurs enfants par la main et dans un silence assourdissant ont quitté l'atelier pour la rue et affronter l'autre tourmente.
Les voilà courbées contre les intempéries, leurs beaux visages enlaidis par la tristesse, elles commencent à échanger. Certaines parlent de résignation, d'autres de lutte à mener pour plus de justice et de partage.
L'une d'entre elles a un petit travail d'appoint, elle place les spectateurs au théâtre de la ville voisine. Elle dit bien fort à ses compagnes :
- J'ai souvent accompagné le patron à sa loge du Capitol et j'ai déjà vu plusieurs costumes de soie différents sur son dos et de multiples toilettes élégantes portées par sa bourgeoise. Je ne sais pas bien ce que « pérennité » veut dire mais ça ne doit pas être un mot qui s'occupe de notre confort à nous. Pendant que nous, les « p'tits », manquons de tout, les « gros » ne manquent de rien, ils ont plus que tout.
Elle fait monter l'indignation et chacune de s'échauffer et de se réchauffer le cœur. Elle continue :
- Mais moi je suis heureuse avec mon homme, ce n'est pas le cas de la patronne qui, à l'ombre de ses beaux chapeaux cache un visage chiffonné de tristesse. Elle ne doit pas rigoler tous les jours dans ses froufrous de soie, entourée de ses larbins. Son homme doit la mener durement.
Elle se sent mieux maintenant, presque à frustration égale avec la femme du patron.
Toutes ces dames décident de se retrouver après le repas de midi pour préparer leur lutte ensemble. Et toujours courbées contre le vent et la pluie elles rentrent chez elles ranimer le feu qu'elles avaient couvert avant de prendre le chemin de l'usine. Elles vont chercher au fond d'elles les ressources pour tenir, lutter, avancer et vivre.